Ancienne ministre de la justice et de l’écologie, Delphine Batho est députée des Deux-Sèvres. Elle vient de déposer un amendement à la loi sur le numérique sur le revenu de base. C’était l’occasion d’en savoir plus sur son intérêt pour le revenu de base. Nous l’avons rencontrée.

Bonjour, Delphine Batho. Quelques jours après la proposition d’un revenu de base par le Conseil National du Numérique, vous venez de déposer un amendement à la loi numérique demandant au Gouvernement la rédaction d’un rapport présentant les différentes approches du revenu de base et sa faisabilité économique. Pouvez-vous nous expliquer vos motivations ?

Je m’intéresse aux idées nouvelles, porteuses d’espoir, dans une époque qui en manque si cruellement. Sentiment d’appartenance à la République, écologie, révolution numérique, revenu de base, pour moi tous ces sujets sont liés et font système. On ne peut pas répondre aux problèmes du 21ème siècle avec des visions d’arrière garde, totalement dépassées par les transformations rapides auxquelles nous assistons. Ma motivation est simple : c’est une détermination à faire avancer cette proposition, qui recueille de plus en plus d’écho dans la société. Je veux que la représentation nationale s’y intéresse et s’en empare. L’idée du revenu de base, universel et inconditionnel, est forte de sa simplicité. En même temps, les choix entre les différentes options possibles et la mise en pratique, sont extrêmement complexes et ouvrent une multitude de possibles. Donc cela nécessite d’enclencher un travail de réflexion sérieux, public et transparent. C’est parce que c’est compliqué qu’il faut y travailler maintenant.

Dans ce même amendement, vous proposez que ce rapport contienne une analyse des expérimentations de revenu de base déjà connues. Que pensez-vous des propositions en cours en Finlande ? De la prochaine votation en Suisse ? De l’expérimentation annoncée à Utrecht et aux Pays-Bas ?

Justement, je serai bien incapable de porter un jugement définitif sur ces expérimentations. J’en connais l’existence, mais pas tous les détails. Un des mérites de la réflexion proposée serait précisément de disposer d’une analyse exhaustive et la plus objective possible de tout ce qui se passe en dehors de nos frontières autour de cette proposition.

Vous demandez également que le rapport contienne une étude des différentes approches du revenu de base. Comment jugez-vous la proposition d’une mise en place en France par étapes à partir du RSA (Automatisation de l’octroi aux ayants-droits, puis individualisation, et enfin universalisation en octroyant le revenu de base à tous).

A ce stade, en fait, je refuse d’entrer dans le débat de cette façon. J’assume de n’avoir strictement aucune certitude, aucun schéma prédéterminé, sur les modalités du revenu de base. J’ai d’ailleurs l’expérience de la façon dont on peut facilement « tuer » une bonne idée, en la caricaturant, en la résumant à tel ou tel aspect pratique. Je ne veux pas que toutes les questions légitimes sur le « comment » tuent le « pourquoi » du revenu de base, que les moyens fassent oublier la fin. Je voudrais d’abord que le principe soit affirmé, la perspective clairement ouverte, et qu’alors on mette toutes les solutions sur la table et qu’on les compare. Prenons l’exemple à partir de votre question sur un revenu de base à partir du RSA : honnêtement, à ce stade, à la fois je suis pour, parce qu’il faut bien commencer quelque part, en même temps assez réservée, parce que je ne veux pas que le débat sur le revenu de base se transforme en « réforme du RSA ». Ça pourrait être un piège. Ma vision politique du revenu de base n’est pas celle d’une sorte de « RSA pour tous ». Cela ne peut avoir de sens de procéder à partir du RSA que s’il est bien clair, dès le départ, que son évolution s’inscrit dans un plan d’ensemble, comme une étape technique sur la route de la construction du revenu de base.

Une autre forme de financement du revenu de base propose de remplacer la politique de Quantitative Easing de la BCE, orienté vers les banques par un “Quantitative Easing pour le peuple” consistant à distribuer une somme d’argent directement à tous les européens. Que pensez-vous de cette idée ?

Pour moi le revenu de base ne peut pas seulement être un mot d’ordre que l’on brandit pour dénoncer les règles du jeu bancaires, le traitement de la dette et le rôle de la BCE. Et puis, un revenu de base doit il forcément dès le départ être européen ? Faut-il attendre une grande remise en cause de la politique monétaire et budgétaire européenne pour avancer ? J’ai les deux pieds sur terre donc, même s’il faut clairement agir sur le plan européen et que c’est indispensable en terme macro-économique, parfois le plus court chemin pour faire avancer les choses à l’échelle de l’Europe est de commencer par le faire… en France !

L’alliance PS-EELV vient de gagner les élections dans la nouvelle région Aquitaine-Poitou-Limousin-Charentes. Elle a repris dans son programme le projet d’études d’une expérimentation qu’avait votée à l’été dernier la région Aquitaine. Seriez-vous favorable à la multiplication de ce type d’expérimentations en France, sur des bases éventuellement différentes ? Y voyez-vous des obstacles ?

C’est très bien que les collectivités locales s’engagent, s’intéressent, cherchent des solutions concrètes. Cela fait avancer l’idée, la popularise. Et en même temps les expérimentations locales sont forcément limitées dans leurs possibilités alors que les règles du jeu fiscales, sociales, sont fixées à l’échelle nationale. Le revenu de base est pour moi aussi une question républicaine, à l’heure où la Nation s’interroge sur son sens commun et sur ce qui fait que chaque citoyen appartient à la République.

Des expérimentations seraient également possibles sur des zones géographiques plus réduites (département, métropoles, communautés de communes…) en utilisant les monnaies locales ou des droits de tirage (énergie, communication, culture…) Qu’en pensez-vous ?

Pourquoi pas ! Je suis très favorable au développement des monnaies complémentaires, pour réorienter les flux économiques en circuit court. C’est vrai que cela peut être un outil intéressant pour expérimenter une forme de revenu universel et inconditionnel. Mais il faudrait déjà que les expériences de monnaies locales se développent à une autre échelle…

Dans le même esprit, dans sa recommandation n°20, le Conseil National du Numérique propose « l’accompagnement des territoires expérimentant des formes diverses de revenu de base ». Il prend appui sur la loi votée au Parlement en décembre dernier soutenant l’expérimentation portée par ATD-Quart-Monde pour un projet de « territoire zéro chômage de longue durée » ? Qu’en pensez-vous ?

Le territoire « zéro chômeur » est expérimenté actuellement dans les Deux-Sèvres. Ce qu’il faut apporter aux territoires qui s’engagent dans différents types de démarches, c’est un cadre d’échange et de retour d’expérience national. Globalement, je trouve pertinent l’ensemble de la méthodologie avancée par le Conseil National du Numérique. En fait, c’est lorsque j’ai vu la prise de position du Conseil National du Numérique que j’ai décidé de présenter cet amendement. Alors que le gouvernement annonce un prochain projet de loi sur les mutations du travail à l’heure du numérique, ce serait quand même assez invraisemblable que la représentation nationale se penche sur ces sujets sans étudier le revenu de base. Je suis ouverte à toutes les modalités concernant l’organisation de cette réflexion : rapport du gouvernement, création d’une commission nationale, travail sous l’égide de l’Assemblée nationale, au fond à ce stade peu importe. L’objectif c’est d’arracher une décision qui enclenche un processus de réflexion démocratique sur le sujet.

Notre mouvement, le MFRB, tente de faire connaître toutes les formes possibles de revenu de base pour en populariser l’idée dans la société. Quels conseils nous donneriez-vous pour réussir au mieux notre mission ?

Je me garderai bien de donner des conseils parce que ce n’est pas le rôle d’une responsable politique de dire à un mouvement associatif ce qu’il doit faire. Il faut respecter le rôle et l’indépendance de chacun. Et puis je vous fais confiance pour être créatifs ! Dans l’histoire, pour faire avancer les idées nouvelles, il a toujours fallu une interaction entre des batailles menées dans la société, et leur traduction politique portée par des élus qui étaient convaincus. Une idée neuve aura du mal à avancer à l’Assemblée nationale si elle n’est pas soutenue dans la société. De la même façon, les combats dans la société s’épuisent si à un moment donné ils n’obtiennent pas des décisions politiques. Pour ce qui concerne ma part du travail, sur le plan politique, et au risque de déranger dans ma sensibilité, ce qui me paraît important c’est de travailler à créer autour de cette proposition une majorité d’idées qui transcende les clivages traditionnels. Travailler ensemble à un revenu de base, ce serait un bon exemple de concorde nationale et de la qualité nouvelle du débat politique que les citoyens attendent.

Merci à vous, Delphine Batho.


Photo Parti socialiste – Flikr – Licence CC.