Le 17 février dernier, le Parlement européen a hébergé une conférence sur une alternative possible à l’assouplissement quantitatif mené par la BCE : Quantitative Easing pour le Peuple (Quantitative easing for PeopleQE4P). Une solution jugée à la fois possible et nécessaire au sein de la zone euro.

Lancée par Positive Money depuis Londres en novembre dernier à la suite d’un appel de dix-neuf économistes européens, la campagne Quantitative Easing pour le Peuple s’est étendue depuis à plusieurs pays d’Europe, dont la France. Elle vise à mettre le pouvoir de création monétaire de la BCE au service de l’ensemble de la population, par exemple en versant à tous les européens un dividende citoyen, assimilable à un revenu de base, et/ou en finançant un ambitieux programme d’investissement et de dépenses publiques dans la zone euro. Le 26 novembre dernier, le comité d’action du MFRB a décidé de rejoindre les signataires de l’initiative.

C‘est avec un bonne dose d’optimisme que Molly Scott-Cato, députée européenne membre du Parti vert de l’Angleterre et du pays de Galles, a ouvert la conférence en présentant le QE4P comme « une solution évidente à certains de nos problèmes économiques les plus graves. »

Chargé de recherche pour Positive Money, Frank van Lerven a ensuite fait une présentation concise des principales conclusions du rapport Relancer la zone euro en utilisant la création monétaire pour stimuler l’économie réelle, publié en début d’année par son association. Selon lui, les mécanismes de transmission de la politique monétaire de la BCE sont inefficaces et c’est pour cette raison que le programme de Quantitative Easing (QE) ne parvient pas à atteindre l’économie réelle.

L’orateur suivant était un invité un peu particulier, puisqu’il s’agissait du professeur Richard Werner. En 1995, alors qu’il conseillait la Banque du Japon, Werner fut le premier à suggérer une politique de QE. À l’époque, a‑t-il expliqué, « le projet était de se servir de la création monétaire pour développer les transactions contribuant au PIB, mais les banques centrales ont dénaturé le projet. »

Depuis plusieurs décennies, les banques centrales ne créent plus de monnaie pour le bien public

Co-auteur d’un rapport avec la New Economics Foundation – qui soutient également cette campagne – Richard Werner a proposé un « Quantitative easing stratégique pour des investissements durables. » Une occasion pour lui de rappeler comment la monnaie est créée par les banques en octroyant des prêts. « La conséquence de leur monopole sur la création monétaire, c’est que depuis plusieurs décennies, les banques centrales ne créent plus de monnaie pour le bien public. » Et de conclure : « C’est bien le problème central qu’il nous faut traiter. »

Dans un argumentaire convaincant, l’économiste et écivain Eric Lonergan a ensuite suggéré que la Banque Centrale Européenne (BCE) distribue un dividende citoyen à tous les ménages de l’Union européenne. Pour lui, un plan d’argent-hélicoptère serait finalement la seule façon de faire face à la prochaine récession. Il pourrait devenir un plan de secours dont la zone euro ne dispose pas pour l’instant.

Lonergan a souligné que cette proposition était somme toute bien modeste par rapport à la taille du programme d’assouplissement quantitatif en cours. Selon lui, il suffirait de consacrer autour de 2 – 5% du PIB (soit 600 à 1500 euros par habitant) pour résorber l’écart de production dans la zone euro. Cela ne représente qu’une fraction à l’échelle du programme actuel d’assouplissement quantitatif de la BCE. De plus, cette méthode serait aussi plus efficace car l’effet de l’argent-hélicoptère serait distribué immédiatement, contrairement à des redistributions fiscales qui demandent de passer par le processus législatif.

QE pour le peuple semble bien moins expérimental que les taux d’intérêt négatifs actuel

Enfin, Lonergan est revenu sur la question de l’efficacité des taux d’intérêt négatifs actuellement utilisés pour stimuler l’économie. « Il n’y a aucune preuve que cela serve à quelque chose » a‑t-il déclaré avant d’ajouter qu’en comparaison, « le QE pour le peuple semble bien moins expérimental ». Il a conclu son intervention par le fait que non contente d’être légale, « cette proposition devrait en fait devenir une obligation légale pour la BCE, car elle constitue pour elle la meilleure façon d’atteindre l’objectif de stabilité des prix ».

Pour Frédéric Boccara, membre des Économistes Atterrés et du CESE, le programme de QE actuel provoque un accroissement des inégalités. Selon lui, il faut mettre en place un autre programme d’assouplissement quantitatif qui « soutiennent le développement et la qualifications des gens, ainsi que la production écologique, avec de vrais emplois ». Il a proposé la création d’un Fonds européen pour le développement écologique et social commun qui servirait à financer les services publics et les petites entreprises. Ce fonds pourrait bénéficier des lignes de financement monétaire de la BCE, conformément à l’article 123.2 du traité de Lisbonne, qui permet aux établissements de crédit de propriété publique d’avoir accès aux financements de la BCE. En outre, la banque centrale européenne devrait revoir le mode de refinancement des banques pour que celui-ci profite à l’économie réelle.

Enfin, Frances Coppola, économiste, a passé en revue les objections fréquentes au QE4P. La première est d’ordre psychologique. La pensée dominante n’accepte pas l’idée que les gens puisse obtenir quelque chose sans contrepartie.

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La seconde objection est de savoir comment cette proposition peut s’intégrer dans le mandat de la BCE. Actuellement, la BCE ne répond pas à son objectif d’inflation, et c’est précisément pourquoi le QE4P est une proposition intéressante. Selon Coppola, la crainte d’engendrer une hyper-inflation est exagérée car la BCE aurait encore ses outils politiques habituels s’il devenait nécessaire de retirer de l’argent de la circulation. « L’idée que l’argent injecté directement dans l’économie réelle ne puisse être retirée si besoin est tout simplement fausse » a déclaré Coppola avant de souligner la complémentarité entre le Quantitative easing pour soutenir les investissements à long terme et le dividende citoyen pour stimuler la demande à court terme.

Les banques privées ne financeront pas la transition écologique

Dans la salle, Frank Vanaerschot, membre de FairFin (Belgique), a souligné l’urgence d’un Quantitative Easing écologique. « Nous savons qu’il est techniquement et économiquement possible de disposer d’énergies 100% renouvelables en Europe d’ici à 2050. Mais il manque l’impulsion de démarrage parce que les banques ne veulent pas s’y risquer. Le Quantitative Easing permettrait de le faire ».

Même avis pour Molly Scott-Cato qui a également souligné la nécessité de ne pas seulement penser en termes de PIB et ainsi de donner la priorité à ce QE écologique.

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Fabio De Masi, eurodéputé allemand membre de Die Linke, a également estimé que la BCE avait une obligation d’engager un QE4P et de faciliter le financement des programmes d’investissement, tant au niveau européen que national. Il a cependant exprimé sa préférence pour l’investissement plutôt que le dividende citoyen au motif que les investissements sont essentiels pour engager des changements structurels. « Ces questions de distribution sont source de conflit social entre le capital et le travail, et je ne pense pas que nous ayons une baguette magique pour résoudre ce problème ».

Aurons-nous besoin d’une autre récession ?

« Qu’aurait pensé Milton Friedman de cette réunion ? » a demandé l’eurodéputé Paul Tang, membre du Part travailliste hollandais. « Il serait probablement horrifié car c’est lui qui a introduit l’idée et maintenant nous inversons ses valeurs ! Il était partisan d’une politique gouvernementale passive, et nous, nous voulons le contraire ». Cependant, « cette discussion me semble très pertinente, parce que je suis profondément inquiet de la situation économique en Europe » a continué Paul Tang. « En tant qu’économiste, je suis préoccupé par le manque d’investissement, ce qui rend de plus en plus difficile d’échapper au problème de la dette privée et de la stagnation. J’ai peur que les choses empirent ».

La conférence a ainsi révélé un consensus sur le fait que la politique monétaire ne peut pas faire plus sans relance budgétaire, qui elle même est rendue impossible par le carcan des accords européens. « Quelqu’un doit briser cette spirale », a déclaré Fabio de Masi avant d’ajouter : « La politique monétaire est comme une corde. Vous pouvez la retirer, mais pas la pousser. Nous avons des taux d’intérêt très bas mais les d’investissements sont à zéro. Nous n’avons plus d’investissements publics parce que nous nous sommes enfermés dans le carcan du pacte de stabilité et de croissance. La conséquence est que nous surchargeons la politique monétaire conventionnelle si nous ne faisons que de la politique monétaire. Nous avons besoin d’une relance budgétaire et une façon de le faire est de monétiser le stimulus ».

L’Europe doit montrer l’exemple

« Il est essentiel que l’Europe fasse preuve de leadership et d’innovation » a encore déclaré Eric Lonergan. « La chose la plus déprimante qui puisse se passer serait de voir un autre pays faire ce que nous préconisons et de nous voir ensuite le copier, après avoir perdu ressources économiques, sociales et humaines à avoir attendu encore deux ou trois ans. Ce serait un honte absolue ! » Et de compléter : « Je ne pense pas que l’argent-hélicoptère a été sérieusement envisagé jusqu’ici. Cette idée a été regardée d’une très mauvaise façon jusqu’à présent. La BCE devrait vraiment y consacrer des ressources appropriées. »

Enfin, Lonergan a conclu en disant que le QE pour le peuple serait au final une mesure assez modeste. « Mario Draghi a su prendre des décisions très courageuses et controversées. Je ne pense pas qu’il y ait besoin de grand efforts pour faire des injections monétaires au profit des personnes ou des ménages. La BCE dispose-t-elle de la légitimité démocratique pour le faire ? Eh bien, ce serait probablement la meilleure chose que les gens auraient vu dans la zone euro depuis bien longtemps. »


Regardez l’ensemble du débat ici :

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Adaptation française : Pierrick le Feuvre. Lire l’article original ici.
Photos : DR.