Le rapport Sirugue, remis lundi 18 avril au Premier Ministre, a pour objectif de repenser les minima sociaux[1] en France, c’est-à-dire les dispositifs existants pour assurer aux individus ou à leur famille, un revenu minimum, sur la base d’une « couverture socle commune ». Si le rapport se positionne globalement contre l’instauration directe d’un revenu de base, il en défend toutefois des éléments qui pourraient constituer des avancées notables vers sa mise en place, à savoir notamment l’automatisation et l’individualisation partielle des minima sociaux, ainsi qu’un focus sur les jeunes (18 – 25 ans).

Le rapport s’attache ainsi à proposer 3 scénarios de réforme :

  • Une simplification de l’architecture des minima existants, applicable en janvier 2017 : il s’agit de 12 propositions pour réduire la complexité du système actuel et pour le rendre plus équitable, notamment pour les personnes handicapées.
  • Une réduction du nombre de minima sociaux de 10 actuellement à 5 à l’horizon 2020, en intégrant l’allocation veuvage, l’allocation temporaire d’attente et le revenu de solidarité outre-mer au sein du RSA.
  • La création d’une « couverture socle commune », remplaçant les 10 minima existants. Cette réforme aurait pour but d’améliorer la lutte contre la pauvreté, d’améliorer la protection des jeunes ainsi que d’automatiser le versement. Cette couverture serait distribuée sous condition de ressources, mais son montant serait doublé pour les couples (au lieu des 1,5 fois le montant individuel actuellement pour le RSA). À ce socle commun s’ajouterait pour chaque allocataire un complément, soit d’insertion (financé par les départements) pour les 18/65 ans, soit un complément de soutien pour les personnes âgées, les personnes invalides ou en situation de handicap.

sirugue

Ce troisième et dernier scénario, qui a la faveur de Christophe Sirugue, est celui qui pourrait le plus se rapprocher d’un revenu de base. Cependant, s’il mentionne la contribution du Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB) et les débats actuels autour du revenu universel, il prend soin de distinguer sa proposition de la logique universelle du revenu de base. 

Il considère en effet que son cadre est trop large pour être intégré à une réforme sur les minima sociaux, car un revenu universel ne se limiterait pas à lutter contre la pauvreté, mais aborderait également des questions telles que les mutations du travail, ainsi que nos modèles de protection sociale et de fiscalité. Il s’affirme également réticent vis-à-vis d’une vision très libérale du revenu universel qui d’après lui remettrait en question les acquis de notre modèle de protection sociale.

D’importantes avancées à souligner

Certaines avancées présentées dans le rapport sont à souligner, puisqu’elles correspondent à des propositions remises dans le cadre de la contribution du MFRB au rapport Sirugue. Sa proposition va notamment dans le sens d’une simplification du système de minima sociaux existants, en les rendant plus justes et en évitant la superposition des dispositifs. Il préconise notamment, dans le cadre de son troisième scénario :

  • Une ouverture du dispositif dès les 18 ans, alors qu’actuellement le RSA n’est ouvert qu’à partir de 25 ans. 
  • Un versement qui, à terme, serait automatisé, pour ceux qui répondent aux conditions d’attribution. Si cela est actuellement impossible, le déploiement de la déclaration sociale nominative facilitera cette automatisation progressive en donnant aux caisses d’assurance sociale la totalité des revenus des salariés du secteur privé.
  • Une individualisation partielle du dispositif, en ayant une couverture socle qui corresponde, pour un couple, au double du montant individuel.

Nous voulions également saluer l’accent mis par le rapport sur la nécessité d’accompagnement pour les bénéficiaires. En effet, il nous semble important de préciser qu’il est nécessaire d’offrir un accompagnement d’insertion aux bénéficiaires de minima sociaux ; et dans le cas d’un revenu de base, il ne s’agit pas de supprimer tout accompagnement sous prétexte que chacun dispose d’un revenu universel.

Cette protection commune proposée, si elle constitue une refonte de l’allocation aux adultes handicapés, n’impliquera aucun changement de son montant, puisque le complément de soutien proposé au socle fera passer le montant de l’allocation à 807 €, soit le montant actuel de l’AAH.

Ces préconisations, si elles nous semblent constituer une étape importante vers l’instauration d’un revenu de base, pourraient toutefois se montrer plus ambitieuses en matière de réforme des minima sociaux. Pour reprendre la contribution du MFRB au rapport Sirugue, il nous semble important d’affirmer la nécessité d’aller vers une individualisation totale du RSA, indépendamment du revenu de chaque membre du foyer. Enfin, pour aller vers un revenu de base, nous proposions de partir d’une réforme des minima sociaux unifiés pour ensuite universaliser le socle commun, qui constituerait alors un revenu de base.

Une présentation décevante du revenu de base

Si l’histoire et le contexte du revenu de base sont présentés en annexe du rapport, l’auteur émet un certains nombres de réserves sur le revenu universel que nous ne partageons pas. 

  • M. Sirugue nous explique que « les promoteurs d’un revenu universel de faible montant ont souvent pour objectif affiché d’accroître la flexibilité du marché du travail ». Cet argument ne correspond pas vraiment à la vision du revenu de base tel que défendu par le MFRB. Pour nous, le revenu de base — même s’il devait être au niveau du RSA sans remplacer d’autre allocation — est d’abord un outil d’émancipation.
  • M. Sirugue présente ensuite la proposition de Baptiste Mylondo d’un revenu de base à 750 € qu’il rejette au nom du fait qu’à ce montant-là, le revenu de base pourrait dissuader de travailler, voire même désorganiser le système économique. Deux arguments par ailleurs réfutables : la désincitation au travail a toujours été très contestable d’une part, et d’autre part, le système économique doit dans tous les cas être réformé étant donnés les changements socio-économiques liés à l’automatisation.

Il est dommage que M. Sirugue renvoie dos à dos deux visions opposées du revenu de base comme pour mieux disqualifier cette idée. Il est dommage que dans le rapport remis par M. Sirugue, il n’existe pas de vision intermédiaire du revenu de base : soit il n’est qu’un outil pour libéraliser le marché du travail, soit il est trop élevé et risquerait de désorganiser l’économie.

Il serait pourtant tout à fait envisageable de commencer par mettre en oeuvre un revenu de base du montant de l’actuel RSA et sans libéraliser le marché du travail. Dans un second temps, on pourrait augmenter progressivement son montant tout en vérifiant que cela ne désorganise pas notre économie.

Enfin, sur le financement, M. Sirugue rappelle que la mise en oeuvre d’un revenu de base peut aller de pair avec une réforme fiscale. Et pourtant, les seules réformes présentées ici consistent en la mise en oeuvre d’un « flat tax » (impôt proportionnel), la suppression des niches fiscales ou l’individualisation de l’impôt. Or, dans les propositions de réforme fiscale formulées par le MFRB au député Sirugue, il n’était aucunement question d’une remise en cause de la progressivité de l’impôt. Nous montrions aussi qu’il était possible de faire une réforme fiscale qui maintienne certaines niches fiscales nécessaires ou les remplace par d’autres formes d’aides, ou encore qui maintienne un impôt conjugalisé.

En conclusion, le rapport présente des avancées que nous saluons (notamment sur les minima sociaux pour les jeunes, l’automatisation et l’individualisation partielle qu’il préconise), et qui peuvent être un premier pas vers un revenu de base. Ce rapport, même s’il ne le préconise, est une étape nécessaire vers la mise en place du revenu de base.

Antoine Stéphany & Jean-Éric Hyafil


[1] 10 minima sociaux sont étudiés ici : le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA), l’allocation adultes handicapés (AAH), l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), l’allocation de solidarité spécifique (ASS), l’allocation veuvage (AV), le revenu de solidarité outre-mer (RSO), la prime transitoire de solidarité (PTS), l’allocation temporaire d’attente (ATA) et l’allocation pour demandeur d’asile (ADA)