Le gouvernement ouvre le chantier du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Pour le calcul du montant de l’impôt prélevé à la source, c’est l’administration fiscale qui communiquera le taux moyen d’imposition sur l’année précédente aux employeurs, qui verseront ce montant au fisc. Mais compte-tenu de la progressivité de l’impôt sur le revenu, le risque d’erreurs de calcul et de régularisation d’impôt en fin d’année pourrait être élevé.

Dans la plupart des réformes introduisant un revenu de base, celui-ci va de pair avec une réforme fiscale dans laquelle l’impôt sur le revenu est prélevé dès les premiers euros gagnés à un taux relativement élevé. La progressivité de l’impôt y est bien plus faible sur une fourchette très large de revenu, ce qui réduit très fortement le risque d’erreur dans le calcul de l’impôt prélevé à la source. Tout cela plaide en faveur d’une mise en œuvre d’un revenu de base et de la réforme fiscale simultanée à celle du prélèvement de l’impôt à la source.

Le gouvernement a annoncé en juin 2015 son ambition de mettre en œuvre le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP). Concrètement, l’IRPP sera prélevé directement sur les revenus du contribuables : l’employeur versera directement l’IRPP de son employé aux services fiscaux, comme c’est déjà le cas actuellement pour les cotisations sociales et la CSG.

Le prélèvement à la source doit permettre d’éviter le décalage temporel entre l’année de perception des revenus et l’année de prélèvement de l’impôt sur ces revenus. Il « supprime les inconvénients du système actuel pour ceux qui connaissent des variations importantes de revenu d’une année sur l’autre ou des périodes de chômage 1 ». En effet, « un tiers des foyers fiscaux voient leurs revenus diminuer d’une année sur l’autre, (et) environ 11 % voient leurs revenus baisser d’au moins 30 % 1 ».

Le risque d’erreur dans le prélèvement à la source

Le prélèvement à la source du montant juste d’IRPP repose sur la connaissance du bon taux moyen d’imposition à appliquer sur les revenus. Compte-tenu des règles de calcul de l’IRPP (barème progressif, principe du quotient familial — quotient conjugal et quotient enfant — existence d’abattements, de réductions et de crédit d’impôt), le taux moyen d’imposition est complexe à calculer sur l’année de prélèvement de l’impôt. Il dépend en outre des autres revenus de l’individu, mais aussi de sa situation conjugale et des revenus des autres personnes dans le foyer fiscal.

Il est prévu que l’administration fiscale communique le taux d’imposition de l’année passée au tiers payeur (le plus souvent l’employeur) pour que celui-ci l’applique aux revenus du mois. Cependant, il risque d’y avoir d’importants décalages dans les calculs lorsque les taux d’imposition varient fortement d’une année sur l’autre suite à un changement de situation économique ou familiale.

En effet, pour les foyers qui subissent une forte chute de revenu d’une année sur l’autre, cette formule conduit à appliquer un taux d’imposition trop élevé sur les revenus en cours (et inversement pour ceux qui subiraient une forte hausse). Or, selon la Fondafip, « on observe qu’environ 6 % des foyers voient leur taux moyen d’imposition varier au minimum de +/- 5 points entre 2009 et 2010. Cette variation annuelle du taux moyen d’imposition constitue une limite au dispositif de retenue à la source qui, à défaut de modulation volontaire du contribuable, se base sur le dernier taux d’imposition connu pour ajuster le niveau de prélèvement. »

En outre, toujours selon la Fondafip, compte tenu des délais de calcul de l’impôt annuel et de communication de cette information, le taux moyen d’imposition appliqué serait celui de l’année n‑2, ce qui accroît d’autant plus le nombre d’erreurs et de régularisation d’impôt en fin d’année. On pourrait choisir de recalculer le taux d’imposition en cas de changement de situation, mais cela risquerait d’augmenter le coût administratif de la transmission d’information entre l’administration fiscale et l’employeur.

Enfin, la conjugalisation de l’impôt conduit aussi à ce que, dans un couple aux revenus très dissymétriques, le même taux d’imposition soit appliqué aux deux conjoints, ce qui serait injuste pour le conjoint ayant des revenus les plus faibles, mais pose en plus des problèmes de confidentialité. 

Le revenu de base réduit le risque d’erreur dans le prélèvement à la source

Indépendamment du prélèvement de l’IRPP à la source, de plus en plus de voix défendent la mise en oeuvre d’un revenu de base — versé par la collectivité à chacun de ses membres de façon universelle, inconditionnelle et individuelle. Un tel revenu de base a pour objectif d’accroître l’autonomie des individus et de réduire le risque de tomber dans la pauvreté.

Nous proposons ici un revenu de base qui remplacerait uniquement le RSA et la prime d’activité. Les APL, le minimum vieillesse et l’allocation adulte handicapé sont maintenus (ainsi bien entendu que les allocations chômage, le système de retraite et l’assurance maladie). Ce revenu de base serait financé par l’impôt sur le revenu, avec changement de son barème.

Un tel revenu de base aurait aussi l’intérêt de réduire le risque d’erreur associé au prélèvement de l’impôt à la source. En effet, avec l’introduction du revenu de base, deux réformes fiscales pourraient permettre de résoudre ces difficultés propres au prélèvement à la source : la suppression du quotient enfant et le prélèvement de l’IRPP dès les premiers euros gagnés sur une très large première tranche d’imposition. Premièrement, en basculant toutes les aides fiscales pour les enfants (le quotient enfant) vers des aides sociales — éventuellement avec une aide forfaitaire unique par enfant, c’est-à-dire un revenu de base « enfant » — on permet que le taux d’imposition ne dépende pas de la présence d’enfant dans le foyer fiscal.

Deuxièmement, dans cette proposition de financement, la mise en œuvre d’un revenu de base va de pair avec un changement du barème de l’impôt sur le revenu. Celui-ci serait prélevé dès les premiers euros gagnés, à un taux relativement élevé (par exemple 30 % dans le barème présenté ci-dessous, mais on peut envisager d’autres barèmes, mais on pourrait aussi envisager une première tranche à 25 %).

Une proposition de barème de l’impôt sur le revenu pour financer le revenu de base

Tranche d’imposition Actuel taux marginal d’imposition Taux marginal d’imposition avec un revenu de base
De 0 € à 9 700 € 0 % 30 %
De 9 700 € à 26 791 € 14 % 30 %
De 26 791 € à 71 826 € 30 % 30 %
De 71 826 € à 152 108 € 41 % 41 %
Au-delà de 152 108 € 45 % 45 %

Financé par l’impôt sur le revenu, l’introduction du revenu de base s’accompagne donc d’une réforme fiscale dans laquelle la progressivité de l’impôt est très fortement réduite sur les premières tranches (mais pas sur les tranches supérieures 2 ). Par conséquent, le risque d’erreur de calcul dans le prélèvement de l’impôt sur le revenu est très largement réduit, surtout pour les revenus faibles, médians et moyens.

En effet, dans le premier exemple proposé plus haut, les trois premières tranches étaient remplacées par une tranche unique imposée à 30 %. Dans cette proposition, nous pourrions décider d’appliquer par défaut un taux d’imposition de 30 % sur tous les prélèvements à la source, et récupérer le fruit de la progressivité de l’impôt par la régularisation en fin d’année, sachant que le taux de 30 % s’appliquerait à la grande majorité de la population. Et même en appliquant un barème plus progressif sur les premières tranches, par exemple avec une première tranche à 25 %, le risque d’erreur dans le calcul anticipé du taux d’imposition est très fortement réduit.

Soulignons que les ménages à bas revenus sont gagnants à cette mesure – même si l’impôt n’est plus progressif sur les premières tranches – puisque le revenu de base perçu par ces ménages est supérieur à la hausse d’impôt qu’ils subissent. Le graphique ci-dessous met en évidence les effets redistributifs de la mesure pour un célibataire sans enfant (sachant que les couples sont toujours encore plus gagnants).

Effets redistributifs de la proposition pour un célibataire sans enfant

effets redistributifs bruts

La nécessité de revoir les niches fiscales

Évidemment, l’explication présentée plus haut ne tient pas compte de la possibilité que le contribuable bénéficie d’abattements ou de réductions d’impôt. Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre d’un revenu de base doit aller de pair avec une réforme fiscale qui remet à plat le système de « dépenses fiscales » plus communément appelées « niches fiscales ».

Les niches fiscales peuvent être comprises comme des subventions à certaines dépenses. Si certaines pourraient être tout bonnement supprimées parce qu’elles profitent avant tout aux plus aisés et ne remplissent pas de réel rôle économique, d’autres jouent un rôle non négligeable. C’est par exemple le cas des crédits d’impôts pour frais de garde d’enfant ou pour dépenses de soin pour une personne âgée ou dépendante, ou encore de certains crédits pour les investissements écologiques.

Avec la mise en œuvre du revenu de base, on pourrait remplacer ces dépenses fiscales par des subventions directes. Sachant que les dépenses fiscales représentent pour 34 milliards d’euros de manque à gagner pour l’État en 2015 3, il suffirait de les remplacer par 34 milliards de subvention directe, voire moins. Pour les niches fiscales associées aux frais de garde d’enfant ou à l’inscription dans une association sportive, ces subventions directes pourraient par exemple prendre la forme d’un chèque service universel versé pour chaque enfant et que l’on pourrait dépenser dans des organismes agréés (voir aussi ici). Les personnes âgées ou en situation de handicap pourraient bénéficier de chèques services similaires pour l’aide à domicile.

Ainsi donc, si le revenu de base simplifie fortement le prélèvement de l’impôt à la source, son introduction dépend elle-même d’une vaste réforme fiscale reposant sur la substitution des niches fiscales par d’autres formes de subvention. Notons ici que cette réforme fiscale peut aller de pair avec un individualisation de l’impôt comme avec le maintien du quotient conjugal (cela fera l’objet d’un autre article), mais cela ne changera rien à notre résultat.

Le prélèvement à la source est plus compliqué avec l’impôt négatif

Nous avons vu que le revenu de base permettait de faciliter le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Remarquons que cette simplification ne fonctionne que si le revenu de base est versé en intégralité à chaque individu.

À l’inverse, le prélèvement de l’impôt à la source devient plus complexe dans le cas d’un impôt négatif, ou dit autrement si le revenu de base prend la forme d’un crédit d’impôt. En effet, dans le cas de l’impôt négatif, l’État ne verse à l’individu — ou ne prélève sur lui — que la différence entre le revenu de base complet (le crédit d’impôt) et l’impôt que l’individu devrait théoriquement payer. Dans un tel système, l’employeur devrait déduire de l’impôt calculé ci-dessous le crédit d’impôt (le revenu de base théorique). Cela peut fonctionner s’il n’y a qu’un seul employeur, mais cela devient plus difficile s’il y en a plusieurs, ou de façon plus générale s’il y a plusieurs sources de revenu. Au contraire, lorsque le revenu de base est versé en intégralité, l’employeur peut appliquer par défaut le taux d’imposition de la première tranche d’imposition sans avoir à se préoccuper des autres sources de revenu de son employé.

Ces constats plaident en faveur de la mise en œuvre d’un revenu de base et d’une vaste réforme fiscale simultanément à celle du prélèvement de l’IRPP à la source.


1. Fondafip, « Rapport au Parlement sur les conditions de mise en œuvre d’une fusion progressive de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée », 2012. 

2. Cela ne signifie pas que l’ensemble du système redistributif est moins progressif puisque le revenu de base compense la faible progressivité de l’impôt sur les premiers euros gagnés. 

3. Annexe au Projet de Loi de Finance 2015. Évaluation des voies et des moyens, tome II : les dépenses fiscales