Le revenu de base, la pièce maîtresse du capital ?

« Les distinctions sociales sont fondées sur l'utilité commune »
« Les distinctions sociales sont fondées sur l’utilité commune »

Un ami à moi vient de me communiquer un lien vers cet extrait d’une vidéo réalisée sur notre ami Bernard Friot avec à la tribune notre jeune ami vidéaste Usul et un autre jeune homme que je ne connais pas :

Bernard, semble répondre à une nième question sur le revenu de base et, après une réponse que nous allons reprendre point par point, conclut son entretien par une affirmation applaudie par toute la salle « Le revenu de base est la pièce maitresse du capitalisme ! ».
Rien que ça…
Comme je l’ai déjà dit aux membres du réseau salariat, si vous voulez discuter en amis, autour d’une table, en petit nombre et dans la durée, je serais très heureux de construire avec vous nos désaccords. Mais là, cette intervention… c’est… Bon allez, je respire par le ventre. Quand je vois la façon « dramatique » avec laquelle Bernard nous parle du revenu de base, cela me confirme dans le choix de ne plus faire d’intervention en public ! Cette mise en place où le leader qui a la vision, harangue une foule de citoyens pour les convaincre du bon chemin… me, comment dirais-je, me peine.
Voir comment un professeur d’université, d’une soixantaine d’années peut devenir un tribun sous la pression du nombre à convaincre me, comment dirais-je, me peine. Si les membres qui prônent le progrès social et l’émancipation commencent à se taper dessus avec des arguments aussi… Bon allez, je respire à nouveau par le ventre ! Cela me confirme que non, jamais je ne reprendrai ce rôle, je le laisse à d’autres… Je ne veux pas me laisser devenir comme ça, même pour une juste cause, et de bonne foi, comme je sais que Bernard est…
Mais revenons plutôt à la façon, un peu cavalière, dont Bernard déshabille le revenu de base pour habiller le salaire à vie de ses plus beaux atours.
Il commence par reconnaitre que les partisans du revenu de base ont raison d’y croire voire d’y « aspirer »… Ça c’est pour préparer le cerveau à recevoir la deuxième partie (oui, c’est comme les séries tv avant la pub)… Mais voilà, roulement de tambour, clin d’œil complice… « le capital soutient le revenu de base ».
Formidable bascule, ineffable renversement, feu d’artifice d’arguments scientifiques, raisonnés, raisonnables que tout une vie de chercheur ont conduits. Alors si je comprends bien le revenu de base est « une pièce maitresse du capitalisme » parce que certains néolibéraux ont décidé d’en défendre la version la plus minimaliste ? Bon ok. Savez-vous que vous ne devriez pas respirer ? L’air que vous respirez est aussi utilisé par le « le capital », pire il trouve ça vital ! Vous comprendrez donc que « l’air est la pièce maîtresse du capital !!! ». Pathétique.
Une fois taclé le revenu de base comme support du « Capital » (en passant je ne sais toujours pas ce que tu y mets dedans…) il fait briller d’une lumière quasi « divine » l’emploi et les droits sociaux pour faire du salaire à vie le digne héritier de toutes les conquêtes sociales… Mon Dieu, quel réductionnisme ! Pardon. Ce qu’il oublie de dire à cette salle hypnotisée par son discours c’est que les anarcho-syndicalistes ont dans ces luttes pour leurs droits à l’émancipation dénoncé de la même façon le patronat et le salariat… À l’époque ou le syndicalisme, était encore révolutionnaire. Voilà ce qui poussait les travailleurs syndiqués dont ils se réclament :
  1. Statuts adoptés au congrès constitutif de la CGT tenu à Limoges du 23 au 28 septembre 1895, Article 2 : 

La Confédération générale du travail a exclusivement pour objet d’unir, sur le terrain économique et dans des liens d’étroite solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale.

  1. Et ceux dont il revendique l’héritage ont renouvelé cette vision émancipatrice du patronat et du salariat dans la fameuse Charte d’Amiens (1908) :

Le Congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2, constitutif de la CGT. La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat…

Je ne vais pas revenir sur cet amalgame, vous pouvez relire mes deux articles précédents la dessus : ici ou pas mal non plus : .
Donc, quand Bernard, la larme à l’œil, veut nous faire croire que devenir salarié à vie, est l’héritage de toutes les luttes sociales… je crains que nous ayons un désaccord à construire à la fois sur le fond, sur la forme et sur la méthode utilisée pour nous en convaincre !

Le salaire à vie, pièce maîtresse du collectivisme ?

Ça marche aussi pour manger un tout petit
Encore une fois que ceux qui veulent devenir des salariés à vie puissent le faire, je suis ok et je me battrais pour que personne ne puisse vous empêcher de vivre cet idéal commun à votre réseau.
Que vous vouliez faire de nous tous des salariés à vie, non, non et re-non .
Mais continuons cette analyse de cette intervention qui a valu à Bernard un tonnerre d’applaudissement de la salle et des applaudissements en langage « sourds et muets » de notre ami Usul. D’ailleurs, Usul, je ne te connais pas non plus et je n’ai rien contre toi et en même temps, si tu as un jour un peu de temps entre deux montages vidéo, peut être pourrions nous discuter, autour d’un bon repas de ce qu’est aussi le revenu de base…
Dans la deuxième partie de son « exposé », Bernard nous montre comment « le capital » (je n’ai jamais compris ce terme dans lequel chacun met tout et n’importe quoi), renonce à jouer pleinement son rôle d’employeur. Parce qu’il se défausserait de plus en plus de ses obligations sociales, fiscales et de protection sur la société, il accepterait en contrepartie de donner quelques miettes de pains (« 1 000 balles ») appelées « revenu de base » pour que les citoyens continuent à s’occuper de leur « petit jardin bio », de faire des « logiciels libres » ou tout autres activités nouvelles en peer to peer (de pair à pair) pendant que, « le grand méchant capital » pomperait la valeur monétaire de tout ce business pour accumuler encore et toujours plus de valeur pour lui-même sur les marchés financiers.
Vous remarquez que là, notre ami Bernard n’a pas pris les 470 balles de la version néolibérale mais les 1 000 balles de la version de gauche du revenu de base, celle de mon ami Baptiste Mylondo… Je me demande bien pourquoi ?!
Dans tous les cas cette argumentation tombe à plat, pour trois raisons :
  1. Parce qu’à 1 000 euros par mois, beaucoup de citoyens quitteraient les emplois contraints pour aller vers une activité choisie dans le secteur marchand et du coup, les employeurs qui n’offriraient pas assez à leurs employés de conditions de travail descentes seraient boycottés par les citoyens qui auraient les moyens de dire non à une activité marchande. Des pans entiers de l’économie réelle s’effondreraient par la fin du chantage à la « faim » cela engendrerait d’une part des défaillances à la chaine d’entreprises d’un côté et de l’autre une hausse des salaires pour capter cette main d’œuvre émancipée et donc à terme une redistribution des cartes entre les parties prenantes de la société de production.
  2. Parce qu’à 1 000 euros par mois, beaucoup d’autres citoyens quitteraient leur emploi pour aller vers une activité choisie dans le secteur non marchand. Il y aurait une explosion d’activités nouvelles en participation libre et consciente ce qui réduirait de façon conséquente la part des activités lucratives dans celle des activités humaines, faisant une plus grande place à l’économie du partage et de la coopération. Parmi ces nouvelles activités notons que de nombreuses viseraient à s’émanciper intégralement des grandes entreprises de l’agroalimentaire, de l’énergie, de la mobilité, de l’information, de l’habitat voie même, via la prévention, de la santé, par la construction voire l’autoconstruction de composantes de cette autonomie sur nos territoires de vie, ce qui renforcerait le pouvoir réel des citoyens sur la société grâce à tout ce temps libéré et à cette indépendance retrouvée.
  3. Enfin, nous savons aujourd’hui que les « 1 000 balles » dépensés dans l’achat de produits, locaux, durables et vitaux valent mille fois plus que les « 1 000 balles » récupérées par les marchés financiers. En effet, la survalorisation de ce « capital » de pacotille ne brille que dans les yeux des ceux qui en sont jaloux. Il n’y a quasiment plus de correspondance entre cette survalorisation et l’économie réelle. Le prochain éternuement des marchés financiers abattra ce nouveau mur de l’argent comme le mur du collectivisme forcé a été abattu il y a tout juste 30 ans par le vent des citoyens épris de liberté. Cela sera d’autant plus fort, que si nous versons ce revenu de base en monnaie citoyenne locale, nous pourrons d’une part récupérer la monnaie centrale, qui sert aujourd’hui à doper ces marchés financiers, et la remettre via des comptes bancaires éthiques au service du développement des territoires et en plus nous servir de cette monnaie citoyenne pour l’affecter prioritairement aux acteurs de ces territoires respectueux des humains et de la nature.
Si certains employeurs privés ont pour ambition de priver les salariés de leurs droits sociaux acquis et de freiner leur émancipation, il n’a pas été rare dans l’histoire de voir de grands employeurs publics, voire le seul employeur tout court, utiliser sa puissance collectée, drainée et dirigée par de nouveaux centres de pouvoir « de droits publics », pour broyer l’esprit et le corps des salariés à vie qu’ils étaient devenus car ne possédant plus rien en propre pour contrer la folie collective. Ne plus donner à chaque citoyen les moyens de choisir ses activités, de décider des parties prenantes de ses associations libres, des moyens financiers pour investir, du type d’innovations techniques qu’il veut développer, du niveaux de droits sociaux qu’il veut pour lui même, de la valeur de son propre travail, c’est faire de chaque homme un nouveau gland. Mais comme le disent nos amis mexicains, qu’elle soit privée ou publique, même écrasé dans la terre un gland reste un futur chêne.
Je répète à l’envie, encore et encore, que nous n’avons pas besoin de cette vielle machinerie collectiviste, centralisée, normalisée, rigide, complexe et aveugle, sortie tout droit de la préhistoire de l’émancipation humaine. Comme le capitalisme, elle a eu son temps. Avec leurs forces et leurs faiblesses, elles ont servi aussi notre développement. Je les renvoie chacune dos à dos. Elles mourront avec la société de production qui les a vu naître. Elles sont nées avec l’industrialisation de la production et l’État-nation et mourront avec eux.
Si le revenu de base est une pièce maitresse du capital et du patronat, alors le salaire à vie est celle du collectivisme d’État.
Voila pourquoi actionnariat et salariat doivent, comme le phénix, se consumer sur l’autel de notre émancipation intégrale. Nous ne garderont d’eux que l’œuf, cet extrait sec, qui nous garantira, comme en permaculture, que le meilleur de l’un fera toujours face au pire de l’autre. Cette dialogie, comme dirait Edgar Morin, sera comme un cadeau pour les temps nouveaux. Dépassons, transcendons même ce que nous avons appris pour créer une nouvelle civilisation qui à la fois, préservera nos biens communs et étendra nos libertés individuelles.
C’est cette synthèse que veut réaliser selon moi un revenu de base quand il est suffisant et versé au maximum en monnaie citoyenne. Mais attention, seul, le revenu de base n’est rien. Comme le dit mon autre ami Patrick Viveret : « Si nous faisons du revenu de base un bâton magique au lieu d’un bâton de marche alors il deviendra un bâton merdeux… »

Le revenu à vie, pièce maîtresse de notre émancipation

Expérimenter le chemin de son propre bonheur…

C’est avec d’autres outils qu’un revenu à vie peut vraiment devenir la pièce maitresse de notre émancipation.

Je n’ai pas trop de temps ici pour évoquer ce revenu à vie, mais vous pourrez trouver quelques éléments de réponse dans cet article que j’ai écrit pour présenter notre projet sur 10 ans de construire un écohameau expérimental dont le cœur battant est un revenu à vie, c’est à dire une revenu de base inconditionnel versé en monnaie citoyenne locale contre garantie par une production vitale et durable relocalisée et gouvernée par toutes les parties prenantes du territoire de vie, lieu de son instauration.
Je ne sais pas moi quelle sera la forme de la civilisation qui vient. L’émergence dépasse toujours les idéologies les plus fécondes. Ce que je sais par contre, c’est ce que, pour le moins, elle se devra d’inclure :
  • Une réappropriation des moyens de production par ceux qui produisent et qui garantit l’accès durable à chacun de ce qui est nécessaire à sa vie.
  • Un réseau de distribution des biens, des services et de l’information le plus court possible privilégiant, pour ceux qui le veulent, l’autoproduction, l’autoconsommation et la fin de toute exigence de réciprocité dans l’acte d’échange de ce qui est nécessaire à la vie.
  • Des moyens d’échanges à forte valeur ajoutée sociale et environnementale, en suffisance, dont la création, la circulation et la destruction sont décidés par ceux qui en font l’usage.
  • Des revenus individuels, de la naissance à la mort, inaliénables, cumulables, suffisants et inconditionnels pour créer les conditions matérielles de l’expérimentation de son propre bonheur dans le respect des humains et de la nature.
  • Et enfin une gouvernance partagée qui implique la participation directe de chaque citoyen qui en manifeste le désir à la constitution de toute loi qui s’impose ou s’imposera à lui.

Ainsi revenu de base et salaire à vie ne sont pas dans leur aspiration des ennemis, ni les pièces maîtresses de nos adversaires respectifs. Je pense sincèrement que plutôt que de se taper dessus pour mettre en lumière les qualités d’un camp et les vices de l’autre, nous aurions à gagner à approfondir dans la plus grande fraternité ce qui chez les uns tend à protéger « un plus de liberté » et chez les autres « un plus d’égalité ».

Nous aurions aussi à gagner à mettre en lumière ce qui fait peur aux uns dans la proposition des autres. Cette attention nouvelle portée sur les qualités des deux idées, des solutions à apporter pour se protéger de leurs faiblesses respectives, pourrait bien mettre fin et au revenu de base et au salaire à vie pour voir émerger une nouvelle idée plus grande encore que les deux réunies : un revenu à vie.

Quoique que je ne sous-estime pas ce qu’il nous faudrait pour enfanter une idée plus grande qui nous dépasse tous, je ne vois pas comment nous pourrions faire pour inventer une nouvelle civilisation si déjà, à peine commencé, nous nous battons en frères. C’est en grande raison pour cela que j’ai décidé de ne plus intervenir en public mais uniquement dans des séminaires avec peu de personnes et du temps. C’est pour cette raison que je me suis mis à vouloir « penser avec mes mains » car de toutes les idéologies passées, seules celles qui ont produit des effets bénéfiques immédiats pour les citoyens de leurs temps ont pu se frayer un passage dans l’Histoire et devenir ce qu’elles sont aujourd’hui. Nous gagnerions tous à nous mettre autour d’une table, pour discuter fraternellement et longtemps afin de mettre en lumière nos accords, construire nos désaccords et débattre de tout ce qui ne rentre pas dans ces deux catégories.
N’avons-nous vraiment que ça à faire pour tirer sur tout ce qui ne correspond pas à notre vision définitive de ce que devrait être un revenu de base, un RSA inconditionnel, un salaire à vie, une allocation ou un revenu universel, un revenu d’existence, et une multitudes d’autres noms que j’oublie ou qui viendront demain ?

Dans tous les cas, ne vous inquiétez pas, je ne gênerai personne sur le chemin de sa glorieuse victoire contre les autres… Si j’ai pris la plume c’est parce que j’aime et défend le MFRB malgré ses faiblesse comme je suis reconnaissant de l’éclairage qu’apporte le travail de Bernard et du réseau salariat malgré leurs excès, selon moi.

Aujourd’hui, j’habite dans un petit lieu-dit perdu dans le fin fond du Lot-et-Garonne, avec quelques fous furieux qui veulent eux aussi penser avec leurs mains… On y réapprend à planter ou élever ce que l’on va manger, à bâtir les maisons qu’on habite, à produire l’énergie et la chaleur dont on a besoin, à recueillir et recycler l’eau que nous allons boire, à décider ensemble, à anticiper et gérer nos conflits, à dissiper nos peurs, notre angoisse et notre inquiétude pour avoir à nouveau confiance en chacun de nous et habiter enfin le présent… Alors c’est vrai, je vous l’avoue, malgré les difficultés qui nous assaillent de toute part, je n’ai pas assez de temps pour me battre car je n’en ai plus assez, je crois, pour bien aimer !

Fraternellement,
Frédéric